Proximités nocturnes

Publié le par Hélène Langhe

 

     Je dors souvent avec Théo ou dans sa chambre, pour préserver un peu de notre sommeil. Ce n’est pas la peine d’être deux à s’épuiser complètement, Rémi ayant un métier fatiguant et des trajets assez longs.

 

     Un peu avant les deux ans de Théo, nous connaissons une période pendant laquelle il est assez rejetant avec son père. Cela fait souffrir Rémi. Il commence alors à interroger le fait que je dorme souvent avec Théo. Cela me déstabilise. Dans les moments de doute, je me suis souvent référée aux sociétés dites primitives, qui, jusqu’à quatre ou six ans, ont un respect de la petite enfance et du lien à la mère, avec le portage, l’allaitement, et les chambres communes. Les grands désespoirs des premiers mois des bébés, que nous attribuons aux angoisses, coliques, poussées dentaires, tombée de la nuit, mais dont au fond nous ignorons la cause, sont inconnus dans les sociétés où l’on pratique le portage.

 

     Rémi me pousse à m’interroger sur mes choix parentaux. J’ai beau tourner la question dans tous les sens, je ne vois pas comment je pourrais faire autrement, et au fond de moi, je sens que c’est cela que je dois faire. Mais ma confiance s’effrite lorsque je me dis : d’accord, tu le sens comme ça, mais cela ne suffit pas de sentir. Il faudrait pouvoir expliquer pourquoi tu es aussi tranquille avec une question qui soulève des tempêtes, tant elle touche à un sujet sensible.

 

     Me revient alors en mémoire l’interrogation d’une infirmière sur mon lieu de travail : " Ça commence à quel âge, l’Œdipe ?" Toujours prudente avec les questions personnelles, je lui fais préciser ce qu’elle veut savoir exactement. Elle m’explique sans se faire prier que son fils de deux ans et demi lui fait très souvent des caresses sur les cheveux et dans la nuque, tout en lui disant : " Que tu es belle, maman ! " La jeune femme me raconte la scène avec une satisfaction, un plaisir qui me troublent, tout en me livrant à haute voix, en gloussant, ce qu’elle ressent : "Oh oui, encore ! " Un profond malaise me saisit durant ce récit, qui éclaire cependant ma propre position.

 

     J’aime Rémi, je suis heureuse dans ma vie avec lui, heureuse de la qualité de nos relations, même si nous avons connu des écueils. Mes choix avec Théo sont dépourvus d’enjeux autour du lien avec son père. Je le ressens profondément. Si je dors souvent avec lui, c’est uniquement pour des raisons pratiques – gagner un peu de sommeil, et protéger celui de Rémi – et pour l’accompagner au mieux dans ses difficultés, avec le moins de violence possible.

 

     Je réalise que ma relation avec Théo pourrait avoir une apparence très incestueuse pour qui en ferait une lecture rapide, en tout cas, beaucoup plus que celle de l’infirmière qui, elle, ne dort jamais à côté de son fils.

 

     Au-delà des faits visibles, c’est bien le sens de ce qui se joue pour la mère qui est primordial.

 

     Je suis apaisée d’avoir pu mettre des mots sur ce que je ressens. Je suis tout à fait claire, limpide, dans mon lien à mon fils.

 

     Mes explications tranquillisent Rémi.

 

     Trois mois plus tard, Théo se tourne résolument vers son père.

 

 


Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article